Apéro, entrée, plats, salade, fromage, desserts, café, pousse-café, pantalon déboutonné: c'est comme une danse dont il faut pas oublier la chorégraphie, sinon on ne saurait plus quoi faire quand la musique s'arrête. Et y'a pas à dire, le morceau n'est jamais sans fin. Alors quand les écuries allemandes ont crissé leur dernier pneu; Harry et Vincent reprennent la place qui est la leur: le fauteuil en velour beige. Les deux frères défont un autre bouton de leur pantalon du dimanche, pour plus de confort. Ils ont changé de chaîne et causent boulot pendant que Michel Drucker et Michel Sardou discutent entre Michels sur le canapé rouge. En somme, il se passe à peu près la même chose de chaque côté de l'écran.
Dans la cuisine, en revanche, tout est bien différent. Gisèle lave la vaisselle pendant que Suzie l'essuie. La maîtresse de maison est perdue dans ses pensées. En jetant un oeil sur son évier - dont l'inox a probablement été un jour brillant - elle entend la voix de Philippe Risoli résonner. Elle se souvient avec émotion de l'instant où elle avait gagné la vitrine. Une cuisine dernier cri dont la valeur était estimée à 63 450 francs. Cela faisait six mois qu'elle était avec Vincent à cette époque là. Cette cuisine, il fallait bien la faire installer quelque part, et dans le 20m² de Gisèle, c'était pas possible. Vincent la demanda en mariage quelques jours plus tard. Et depuis, cette gagnante du juste prix n'a jamais réussi à s'enlever de la tête que son conjoint l'avait surement épousée pour sa cuisine BUT au moins autant que pour ses autres attributs.
Elle est tirée de ses songes par sa maladroite belle-soeur qui n'a rien trouvé d'autre à faire que de casser un verre. Suzie se précipite sur le sol pour rattraper son erreur en ramassant les plus gros bouts de verre. Elle grommelle sur la publicité mensongère que mène Duralex avant de fondre en larmes. Gisèle ne sait plus trop quoi faire. Elle a jamais été trop à l'aise avec les pleurs, que ce soit les siens ou ceux de quelqu'un d'autre.
Suzie s'assoit sur la chaise qui lui est tendue. Son amie lui tape, tape, tape sur l'épaule. Ça va aller. Tout va bien se passer. Il ne faut pas parler trop fort, les hommes pourraient entendre. Et si on allait se promener. Quelques hésitations et deux foulards plus tard, les deux comparses se retrouvent sur la balancelle dans la cour arrière. Le vent fouette le visage de Suzie et en profite pour sécher ses larmes.
Suzie n'a pas assez d'argent, sinon elle avorterait sans rien dire. Sa soeur qui vit sur la Capitale pourrait lui prêter quelques billets, mais ça fait des années qu'elles ne se sont plus parlées.
"Tu as tué papa en épousant ce gros porc d'Harry...Tu es la honte de la famille, ne pas finir le lycée et t'en aller comme ça...la honte...et ta famille, tu y as pensé à ta famille ?"
Non, Suzie ne peut décemment pas aller voir sa soeur.
Du bout des pieds, elle stoppe la balancelle et regarde Gisèle:
"Viens on se casse toutes les deux, ils nous retrouveront pas."
0 commentaire(s):
Enregistrer un commentaire