Je ne m’envisage pas autrement qu’en tant que personnage de roman. Mais, je ne suis pas compliquée pour autant : le style ou le genre peut en changer. Je prends mon habit de roman policier quand je pars à la recherche d’une chaussette égarée. J’enfile la cape du roman d’époque lorsque je vais voir le petit frère de Romain, à sa compétition équestre. Je peux également mettre le déshabillé de satin que la collection Arlequin exige. Je sais être aussi absurde que l’ultra-modernisme me le suggère, parfois, dans mes songes. Je sais être tout ça sans jamais être autre chose que moi. Du moins, je le crois. Du moins c’est ce que j’ai la prétention d’essayer de faire croire. Seulement, personne n’est au courant. Je ne dis pas que ça me gène mais parfois j’aimerais qu’on apprécie la tension dramatique qui se trame autour de moi ; au moment d’hésiter entre les petit-pois, les carottes, ou les petit-pois carottes, par exemple. Alors, pour avoir la sensation d’être vraiment ce personnage que je pense être, je pratique la mise en abyme régulièrement. Ca n’est pas vraiment douloureux ni tout à fait efficace car pour que cela le soit il faudrait que je le crie sur tous les toits. Mais à quoi bon ?
Ma mise en abyme revient donc à me rendre, accompagnée de mon amie Sonia, à notre atelier d’écriture. Celui qui est tenu par le mystérieux Mr Lemoix. On écrit des choses sur des thèmes plus ou moins imposés et j’essaye d’exister face à ma feuille de papier, et j’essaye d’exister sur cette feuille de papier. Je sais que dans l’idéal, je n’aimerais pas parler de moi, mais on verra ce que ça donnera, quand je serai grande. Comme on dit. Puis y’en a qui disent que je suis déjà grande mais je crois sincèrement que leur avis est biaisé. Le thème de la séance d’aujourd’hui était à la fois le plus simple et le plus compliqué du monde. Il est simple car on en a tous écrit un jour et il est compliqué car on en a jamais écrite qui soit tout à fait satisfaisante, de déclaration d’amour. Je ne suis pas contente de ce que j’ai fait. J’hésite limite à ne pas y aller. Coup de téléphone à mon amie Sonia. Elle est trop fière de son texte, elle veut y aller. Je lui dis, ok mais tu passes me prendre. Quoi de plus logique ? On roule, on roule, on se gare. Je me remaquille. Sonia, sur le trottoir s’impatiente. On peut noter que Sonia sur le trottoir s’impatiente est une phrase qui renvoie à une image de Sonia comme : une matière répandue sur le trottoir qui commence à s’impatienter. Cette phrase est différente d’un simple : Sonia, virgule, sur le trottoir, s’impatiente. Le complément circonstanciel, en incise, indique ici que Sonia s’impatiente alors qu’elle m’attend sur le trottoir. Mais Sonia, elle, elle les mettrait les virgules ou pas ? En tout cas, elle veut fermer sa voiture à clé mais je suis encore en train de vérifier que mes épis ne soient pas trop capricieux. On entre. On s’installe. La bise à tous les élèves. On sert la main de Mr Lemoix. J’espère qu’il n’a pas senti la moiteur de ma paume. A vrai dire, je ne sais pas si je l’espère vraiment. Peut-être aimerais-je être découverte, je ne sais pas trop. Je sais juste que les gens commencent à lire leurs déclarations. Des gens rougissent, des gens pâlissent. Des gens se pâment, des gens se paument. Sonia lit, Mr Lemoix la félicite. Connasse. Et vient mon tour. J’avertis tout le monde de la nullité de ce qui va suivre. En plus j’ai choisi de ne pas entrer tout de suite en matière et de faire comme un préambule à ma déclaration. Mr Lemoix me dit d’arrêter là mes digressions et me somme sur un ton relativement autoritaire de lire mon texte. Je m’éclaircis la gorge et je commence à lire :
« J’étais un peu paniquée, je savais qu’il attendait des aveux que je n’étais pas prête à lui faire. Je savais bien que de son côté il ne serait jamais prêt à les entendre. Et, par peur de voir mon monde se révolutionner, je décidai de ne rien dire, rien du tout, pas même un soupçon de vérité. A vrai dire je ne mentais pas en gardant tout ça pour moi. J’occultais juste les faits les plus évidents. N’importe quel être normalement constitué l’aurait déduit en m’observant ne serait-ce que cinq minutes. Mais tant que je ne posais pas de mots sur mes sentiments, je restais cet être asexué qu’il voulait tant que je sois, pour conserver la pureté de notre entente… »
« Un peu long »
« Ah merde, tu es sûr ? »
« Oui j’ai décroché à « tout ça pour moi » »
« Mais si je dis asexué dès le début, je résume trop la pensée. »
« Oui je sais, mais les gens sont bêtes. »
« Ou alors c’est toi le gros débile qui ne me laisse pas dire ma tirade comme je le voudrais juste parce que tu essayes de te mettre à la place d’un homme. »
« Je suis un homme. »
« Oui, pas la peine de t’en venter. »
C’est la première fois que je tutoie Mr Lemoix. C’est aussi la première fois que je le traite de gros débile. Je ne devrais peut-être plus l’appeler Mr Lemoix. Je devrais l’appeler Patrick mais ça fait tout de suite plus intime. Moins intime que Paul mais vu qu’il s’appelle Patrick, je ne vois pas pourquoi je devrais l’appeler Paul. Certes, je suis un personnage de roman, mais alors un personnage de roman vraiment pas romantique pour le coup. De toute évidence, mon talent est très limité à ce sujet là vu que Patrick m’a coupé avant que je ne commence ma déclaration pour de vrai. Mes sentiments sont donc avortés. Un petit fœtus de sentiment, voulez-vous lui donner un nom ? On vous le met dans du formol et vous le remportez à la maison ? Mais oui, emballez-le moi et pensez surtout à l’étiqueter pour que je puisse bien le disposer à côté de ses frères et sœurs sentiments avortés et autres difformités de l’affect’ que je cultive depuis toujours. D’ailleurs le fœtus de ma déclaration d’amour à Patrick sera à ranger à côté de mon incapacité totale à montrer à Romain que je tiens un tant soit peu à lui. Mais quand même, quand j’y pense, quel idiot ce Mr Patrick Lemoix, il ne voulait pas que je mette de mot sur mon émoi, sur ce qu’il y a entre lui et moi. Peut-être qu’il n’y a rien entre lui et moi au final. J’ai peut-être tout fantasmé. Les messages sur le répondeur un peu plus longs qu’ils ne devraient l’être ; les bonnes appréciations, les sourires appuyés et les regards en coin. Les fleurs pour mon anniversaire, l’année dernière. La visite à l’hôpital quand j’avais eu ce petit accident de voiture. Les livres prêtés. Les conseils cinématographiques. Les sourires en coin, les regards appuyés. Si j’interprète sa réaction comme une rupture, alors est-ce que je dois encore venir à ses ateliers ? Et puis, est-ce qu’il préfère Sonia ? Elle a de jolies robes mais un visage ingrat. La séance se termine. Un peu sans moi, car je ne dis au revoir à personne. Pas même à Sonia. Pas même à Mr Patrick Paul Lemoix…
Je me retiens vraiment de pleurer. En plus, Marion ne m’a toujours pas rendu mon DVD et je ne sais toujours pas ce qu’elle pense de Me and You and Everyone we know. Et si un truc peut me calmer à l’heure actuelle, c’est écouter son point de vue sur la chose. Je lui téléphone. « C’est urgent, fais moi du café. J’arrive. »
Et elle fait du café, sans poser de question, et j’arrive. Elle prend mon sac ; je déboutonne mon manteau, elle le prend et le suspend à son porte-manteau. Je lui demande si elle veut que je me déchausse, je n’écoute jamais la réponse et déjà je m’assois sur son canapé, je prends un coussin que je pose contre mon ventre. Je le serre un peu, un peu trop fort. Je ne dis rien jusqu’à ce qu’elle amène le café. Elle me demande toujours si je veux du sucre, je n’en prends jamais. Mais la première fois que nous avons prit le café ensemble, elle ne devait pas le savoir et avait posé la question ; depuis nous n’avons pas osé changer ce rituel délicieux.
Elle me caresse l’avant-bras pour me demander de parler, un peu comme on signale le départ d’une course d’un coup de feu en l’air. Je ne fais que très rarement de faux-départ. Je débute tous mes monologues par la même phrase : « Je ne sais pas par où commencer » ; ce qui est en soi un mensonge. Alors je regarde dans le vide, l’œil triste et j’articule des phrases incompréhensibles. Une fois le sujet de ma venue annoncé, je me penche, attrape ma tasse et remue le café. Ce geste inutile me rassure. Je prends toujours une cuillère à café, pour l’amour de la chose. Même aux machines à café, je prends une touillette et la mets à l’envers, parce que ça adhère mieux. Parce que c’est plus joli, parce que les autres ne le font pas, et parce que les autres ne boivent pas autant de café que moi…Et donc après avoir remué le café un peu pour rien, je porte la tasse à la bouche, et bois une toute petite gorgée, de peur de me brûler. Ce n’est pas très chaud, vu le temps écoulé entre l’arrivée du café sur la table basse et l’arrivée du café à ma bouche. Mais on ne sait jamais. Et le café se savoure, après tout.
Je lui dis qu’elle est gentille de me recevoir alors qu’elle a surement mieux à faire. Mais elle n’a pas mieux à faire. Je le sais, elle le sait mais nous faisons semblant de ne pas le savoir, juste pour lui donner l’importance qu’elle mérite peut-être. Je continue de parler, elle me guide en posant des questions. Je pense que ça l’intéresse un peu. Voire totalement. Mais je lui demande quand même de mettre de la musique, comme pour m’accompagner. Je voudrais une voix aigüe qui chante dans une langue que ni elle ni moi ne comprenons. Elle met ça, se rassoit et j’avale mon café. Et plus je le bois, moins j’ai envie de parler. Et à la dernière gorgée, je suis assez dégoutée de moi-même pour la laisser parler. Bien entendu, je ne l’écoute pas. Sauf si elle me sert un autre café ; histoire de broyer du noir. Elle me ressert ce café, je lui demande alors son avis sur le film. Elle me dit à quel point elle l’a adoré. Elle trouve que ça ressemble à American Beauty. Je vois pourquoi elle pense ça mais je vois surtout pourquoi je ne suis pas entièrement d’accord avec elle. Je lui demande de me parler de ce garçon qu’elle aime bien à la fac et que je ne peux pas supporter. Ca lui fait plaisir d’en parler, ça ne me fait pas plaisir de l’écouter mais comme on dit, il faut savoir donner pour recevoir. Elle me demande comment ça va avec Romain. Dieu merci, elle me le demande enfin. Ok, j’étais venue pour lui parler de Mr Lemoix, mais c’était un prétexte. Je lui raconte comment Romain prend ses distances en ce moment, comment il passe la nuit chez Martin et Antoine sans me donner de nouvelles ; comment il me croque de moins en moins. Comment il m’évite de plus en plus. Bien sûr, je n’ai pas besoin d’elle pour faire de pronostics sur nos amours agonisantes mais j’ai besoin de me l’entendre dire et de savoir que quelqu’un qui ne me juge pas trop est au courant. Elle me caresse l’avant-bras à nouveau et je commence à ne plus trop avoir envie d’être là. Peut-être que j’en ai assez dit. Je me suis libérée dans un sens. Je lui propose d’aller faire un petit tour en ville, j’ai envie voire besoin de dépenser de l’argent. Elle me dit qu’elle doit étendre sa lessive et qu’elle est à moi. Elle est à moi ? Mais avant ça, elle était à qui ? Elle était à moi aussi mais ne voulait pas se l’avouer. Je l’aide parce que j’aime bien les pinces à linges. Surtout celles en plastique car celles en bois rouillent facilement. Je les aime bien quand elles sont fantaisistes, en forme de nounours par exemple. Mais celles de Marion sont toutes simples ; elles ont de belles couleurs quand même. Je ne prends que les rouges et je suspends les hauts de Marion au fil qui traverse sa salle de bain en diagonale. On a fini. On se remaquille, on se rassure sur nos mines respectives. On se félicite sur nos coiffures. On remet nos manteaux et on y va. Je ne peux pas me retenir de lui reparler de Mr Lemoix qui a donné comme consigne pour la séance suivante d’écrire un texte le concernant. Il a distribué une feuille avec des éléments de sa biographie à tout le monde. Je demande à Marion si je dois vraiment arrêter d’y aller ou si je peux m’y rendre une dernière fois pour lui dire quelque chose du genre : « J’aurais bien aimé raconter votre vie, hélas je n’excelle pas en haïkus. » Marion ne trouve pas ma remarque assez piquante. Peut-être qu’elle ne l’a pas comprise… On fait quelques boutiques de vêtements. Je ne vois rien de palpitant. Marion achète un T-shirt plutôt rigolo mais plutôt transparent. J’aime bien faire les boutiques avec Marion mais pas trop souvent car sa taille mannequin fait que nous n’avons pas toujours les mêmes attentes et les mêmes adresses préférées. Ceci fait que les boutiques qui l’interpellent le plus sont d’un grand ennui pour moi et la réciproque est surement vraie. Puis, j’ai très envie de rentrer, alors, à H&M, quand Marion prend trois robes pour aller les essayer en cabine ; je lui dis que je m’en vais. Bisou, bisou. Puis, je rentre. J’espère que Romain est là et oui, il est là. J’entends ses jeux vidéo depuis l’entrée. Je quitte mon manteau et pose mes chaussures, ou le contraire, je ne sais pas trop. J’entre dans la cuisine pour me servir à boire et mon regard se pose sur les croquis de Romain. Je les trouve plutôt réussis pour une fois. Mais ce sont des portraits de Sandra. Je le retrouve dans le salon. Après quelques questions à peine subtiles de ma part, il m’avoue que oui, il a passé l’aprèm avec Sandra qui était venue pour me voir, comme il était convenu. Ok, j’avais plus ou moins consciemment oublié. Je ne pensais pas qu’il lui ouvrerait. Ca m’énerve un peu alors je décide de faire un truc cool du genre lui faire son plat préféré pour ne pas qu’il me laisse pour ses copains ou pour dessiner une autre fille. Mais il n’a pas faim car ils ont grignoté avec Sandra. Je cherche alors un autre truc sympa à lui proposer. Ah bah oui, on va boire des bières en regardant le match de ce soir. J’ai rien trouvé d’autre pour montrer mon affection. Je lui demande pour la quatrième fois du mois ce qu’est un hors-jeu alors que je le sais pertinemment, et je le regarde avec des yeux remplis d’une toute feinte admiration. Mais c’est parce qu’au fond, je suis super sympa.
samedi 20 décembre 2008
Sinon ça va #4
Publié par Gourelle à 05:01
Libellés : Sinon ça va
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