Penser la couleur jaune comme nécessaire à sa bonne humeur oblige Mme Delmas à faire quelques ajustements dans son quotidien. Elle surnomme ses fils « mon poussin » ou « mon canari », mais pas mon cœur ou mon chéri. Un jour, je l’ai surprise en train de bomber ses rosiers d’une couleur que je qualifierais plus de dorée que de jaune mais qu’elle voit comme ocre. Cette façon qu’elle a de ne pas supporter que les choses soient telles qu’elles sont, et cette façon qu’elle a de repeindre les rosiers me la fait tout de suite associer inconsciemment à la reine de cœur d’Alice au pays des merveilles. J’ai toujours peur qu’à la moindre gaffe, elle me fasse couper la tête. J’ai pourtant tendance à penser qu’elle serait plutôt la reine de pique tant ses remarques mordantes se font fréquentes ces derniers temps. Je suis sure que Romain ne juge pas bon de la contredire. Peut-être même est-il d’accord avec les propos peu élogieux que tient sa mère. Il est peut-être même à l’origine de ces propos et sa mère ne serait qu’énonciatrice de paroles rapportées. Je préfère ne pas y penser, il vaut mieux que je me concentre sur l’air amusé que je souhaite conserver. Alors, je pense à quelque chose de drôle pour garder un sourire radieux quand elle me dit que j’ai grossi depuis la dernière fois qu’on s’est vues. Elle est passée la semaine dernière. Est-ce que je lui dis moi que ses racines sont de plus en plus visibles et qu’il serait peut-être temps de refaire sa couleur ? Non, je ne le dis pas, pourtant j’aimerais assez. Elle me demande si je peux la laisser un peu seule avec son fils. Je ne me fais pas prier et m’enferme dans la chambre d’ami avec le bouquin que je suis en train de lire. Je ne peux pas m’empêcher de remarquer, en quittant la pièce, que les yeux de Mme Delmas sont humides et un peu rouges. Elle a dû pleurer belle-maman. Le karma, sans doute. C’est trop tentant, il faut que j’entende leur conversation. C’est l’oreille collée à la porte que j’apprends que Jappy, le yorkshire à sa mémé, est mort dans la nuit. Elle demande à Romain s’il peut écrire quelques mots pour le discours qui accompagnera l’inhumation. Dieu du pain d’épice, dieu des alcooliques anonymes, dieu des asiatiques, faites que je contienne le fou rire qui compte bien s’emparer de ma personne. Je n’écoute plus ce qu’ils se disent, j’ai trop envie de faire pipi pour prendre un tel risque. Au bout d’une demie-heure, ne tenant plus, je sors de la chambre, je les trouve assis à regarder l’émission de Sophie Davant : j’ai un peu peur. Je me prépare et je dis que je dois retrouver Marion, que je serais bien restée manger avec eux mais qu’on doit aller à la bibliothèque. Je m’aime bien quand je mens avec aisance comme ça. Je sors, je vais me ressourcer, je vais aux Galeries Lafayette. Puis je m’ennuie. Alors je me dis que je pourrais peut-être téléphoner à Marion et la voir pour de vrai. Elle me dit qu’elle a un rendez-vous de prévu mais qu’elle a trop peur d’y aller seule. Ce rendez-vous, c’est avec un garçon à qui elle parle sur Internet depuis un petit moment et elle ne l’a jamais vu encore. Elle a peur que ce soit un psychopathe ou pire, qu’il ait les cheveux gras. Ca sent le plan foireux à des miles à la ronde, cependant au bout de dix minutes d’imploration, je cède. Je vais la rejoindre. Elle est en plein stress. J’ai envie de la baffer. Je le lui propose. On ne sait jamais, ça peut la détendre. Elle refuse. Tant pis. Il l’appelle, il lui dit qu’il est déjà là depuis un bon moment. Elle lui dit qu’elle ne le voit pas. Je lui montre un petit gars tout pourri en train de téléphoner à l’autre bout de la place où le rendez-vous est supposé avoir lieu. Je la rassure, il n’a pas les cheveux gras. Bon, il a vraiment l’air tout pourri quand même, mais ça, ça ne me regarde pas. Il nous fait la bise. Bon ça va, il ne pue pas trop. Je lis la haine dans son regard quand il comprend que je vais rester avec eux. Je m’en fous, je le hais en retour. Je suis sure qu’il y a sa date de naissance dans son pseudo sur Internet. Du con va. Son téléphone sonne, il y répond alors que nous marchons en direction du salon de thé que Marion a choisi. Je demande discrètement à Marion :
« Hey Marion, il te kiffe ou quoi? »
« Bah pourquoi tu me demandes ça ? »
« Bah, je sais pas, pourquoi tu le rencontres ? »
« On s’entend bien. On n’a pas beaucoup d’amis dans cette ville, et on avait envie de tester ce salon de thé. »
« Ouais, mon cul. »
« Manon ! »
« Bon, il te kiffe ou pas ? »
« Je ne sais pas trop. Je ne crois pas. Enfin, peut-être. Dis tu ne veux pas l’observer un peu, me dire comment il me regarde et tout. Parce que moi je n’oserai pas le regarder. »
« Hanlala Marion mais tu le kiffes ou quoi ? T’as vu qu’il a l’air un peu pourrito quand même ? »
« Oh et je t’ai rien dit quand tu t’es mise avec ton gribouilleur là. »
« Bah, si. Tu m’as dit qu’il avait l’air un peu con. »
« Ah oui, c’est vrai. Désolée. »
« Ne sois pas désolée, je crois bien que tu avais assez raison. »
Le pourrito a fini sa conversation téléphonique, je suis sure qu’il parlait à sa mère. On va boire ce thé. La discussion est d’une banalité affligeante. J’ai presqu’envie de rentrer regarder des chiffres et des lettres. Laurent Romeijko, au moins, il n’est pas moche. Pas comme ce pourrito qui nous parle. Enfin il parle à Marion bien sûr, et pour sembler poli, il pose ses questions au pluriel, pour que je me sente un peu concernée, du genre « vous avez des hobbies ? ». Du con, personne ne dit hobbies. On a fini nos thés alors on s’en va. J’ai faim, je me sens pas bien, je veux du sucré. Y’a un magasin de bonbons. Je râle pour qu’on y aille. Je fais ma petite sélection. Six euros quarante de glucose et de colorants artificiels. Je suis ravie. On s’installe sur un banc public sur une petite place quelconque où le nombre de pigeons au mètre carré me fait presque peur. Le pourrito ramasse des emballages plastiques que des gens avaient laissés aux pieds du banc. Il fait une moue assez ridicule. Un peu celle du type qui a tout vu tout vécu et qui est exaspéré par ce qui l’entoure. Je me demande bien quelle théorie il va nous pondre. Je le sens bien prêt à nous dévoiler sa façon de voir le monde. Sa chevelure crie qu’il a des idées sur tout, sauf sur comment bien se coiffer, de toute évidence.
Il se penche vers elle, il lui explique que cet objet mettra cent ans à s'auto biodégrader, cet autre objet cinquante ans, et celui là au moins trente ans. A le voir, on peut se demander s'il essaye d'embrigader mon amie à Greenpeace où s'il essaye de la draguer. Puis, un indice me met sur la voie: cette petite goutte de sueur qui coule le long de sa tempe. Il se la rêve, le pauvre con. Il ferait bien mieux de faire comme son grand-père et d'amener Marion pique-niquer sur une butte et observer le coucher de soleil, puis une fois la nuit installée, il pourrait lui expliquer où se trouve telle ou telle constellation. Il pourrait peut-être même se placer derrière elle pour mieux lui montrer, et finir par l’enlacer. Mais non, il fait rien de tout ça ; il ramasse des canettes de soda. Ca me fout la haine de voir un type aussi con alors je décide de couper Mr l’écolo en pleine envolée lyrique sur les bouchons de bouteille d’eau pour lui proposer une fraise tagada. Il la refuse. Marion, qui d’habitude ne se fait pas prier pour piocher dans mes bonbons, me dit un truc trop laid quand je lui tends le paquet : « Oh non c’est plein de colorants ce truc là. »
C’est une vendue, c’est décidé, je me casse. Je vais refaire un tour chez Sandro, réessayer une robe qui me plait juste pour être sure que je la veux vraiment. Si jamais maman passe cette semaine, elle me la prendra peut-être. Je lui dirai que je déprime d’avoir encore grossi. Je porterai une robe qui ne me flatte pas la ligne et lui dirai qu’il faut vraiment qu’elle fasse quelque chose pour moi. Elle me tendra des billets ou me proposera de venir avec elle faire un tour dans les boutiques. Ma mère je l’aime bien. Ma mère est assez cool pour écrire les trucs que la mère de Romain lit. Cette robe est parfaite. Elle est jaune poussin et ne jure pas au teint, ce qui est assez remarquable pour être relevé. La vendeuse me demande ce que je pense de la nouvelle collection. Bien sûr, j’ai mon mot à dire et des réflexions à faire. Je ne peux pas l’ignorer et me taire. C’est un réel plaisir pour moi de discuter avec elle. Elle a les sourcils épais et je la bénis en silence de ne pas les avoir outre-épilés. J’exècre les femmes aux sourcils peints, celles qui n’ont pas su comment gérer leur pilosité faciale. J’ai de la tendresse pour les femmes à barbe pourtant. Mais là n’est pas la question. Il me reste pas mal d’argent sur mon compte en ce moment donc je pense que je vais prendre cette robe et demander à maman de me la rembourser ultérieurement. Je sors la carte de crédit de mon porte feuille en cuir violet, la frotte contre ma cuisse pour éviter d’avoir à lire « carte muette », l’enfonce dans la machine, tape mon code confidentiel et appuie sur valider. Toute la pression qui pesait sur mes épaules s’évanouit en moins de deux secondes. Eh oui, je suis une vraie dinde complètement pervertie par le fric et les fringues. Mais je ne vois pas où est le problème avec les fraises tagadas. Mon iPod aux oreilles, le volume au maximum, je sautille jusqu’à mon appartement. Je tiens mes emplettes d’une main et parcours mon sac de l’autre, à la recherche de mes clés. Elles ne sont jamais là où il faudrait. En l’occurrence, elles sont dans la poche de mon manteau. Pourquoi pas. Je dis que je suis là. Je n’entends pas de réponse mais j’entends de la musique qui provient de notre chambre. J’accroche mon manteau sur la patère prévue à cet effet. Je me déchausse. Je pousse la porte de la chambre. Je pousse un cri d’horreur, un cri qui réveille en sursaut les deux personnes nues sur mon lit : Romain et Sandra. Mon dieu, je pourrais mourir à cet instant. J’en lâche mon iPod et ma nouvelle robe sur le sol, je sors de la pièce et je remets mon manteau. Je claque la porte d’entrée, et je cours. Je cours. Je cours. J’ai un point de côté mais met mon poing de côté pour qu’il atterrisse bien dans leurs gueules de cons. Non, mais je dois être en plein cauchemar. Je ne comprends rien. Je m’effondre sur le trottoir. Je pleure, je pleure, je pleure. Une main sur mon épaule. Un parfum familier, le parfum de la trahison. Romain me relève. Je vois Sandra s’en aller au loin. Il me serre dans ses bras. Je tremble et je ne refuse pas son étreinte seulement car je suis trop fébrile pour tenir sur mes pieds. Mais quel enfoiré. Il va essayer de me baratiner, je le sens. Oh oui, bien sûr, c’était du nu artistique. Connard de croqueur. Du foutage de gueule artistique, oui ?! J’accepte de rentrer dans l’appartement mais force Romain à occuper la chambre d’ami. Je suis trop faible pour le frapper. Je suis trop choquée pour lui demander depuis combien de temps leur histoire dure. Je suis trop énervée pour me démaquiller. Je suis trop honteuse pour appeler qui que ce soit, comme si c’était de ma faute alors que ça ne l’est pas. Penser la couleur jaune comme quelque chose de nécessaire à la bonne humeur de Mme Delmas prend tout son sens maintenant. Elle sera réjouie quand elle apprendra que son fils me cocufie avec l’idiote du village. J’ai tellement la haine que dès que je serai capable de marcher, je me taperais bien n’importe qui, Mr Lemoix, Marc, le père de Sandra ou Laurent Romejko. Ou alors je pourrais bien les tuer ces cons de Sandra et Romain. J’en scalperais un pour faire déguster son cuir chevelu à l’autre. Ou quelque chose comme ça. Merde. Putain.
mercredi 24 décembre 2008
Sinon ça va #5
Publié par Gourelle à 00:33
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