mercredi 6 janvier 2010

Si j'avais une brouette #5

Irène est une femme qui aime sa petite routine. La mort de son mari l’a beaucoup affectée, elle a dû retourner vivre chez ses parents. On ne peut pas vraiment dire « chez ses parents » puisque seul son frère Jonathan, dit Jo, y vit. Ils ne se sont jamais vraiment bien entendus car personne, ou presque, ne s’entend vraiment avec Jo. Cet hypocondriaque de 58 ans a un jour embrassé une fille sur la joue, depuis il pense qu’il peut écrire des théories sur l’amour. Il aime bien citer des auteurs qu’il n’a pas lus, des auteurs qui sont répertoriés dans son dictionnaire des citations. Chaque soir, avant de s’endormir à 22h, il relit un thème. Hier soir il a lu les citations parlant de « La Raison », et il trouve ça étrange que Pascal se fasse appeler par son prénom, sûrement quelqu’un qui a su rester simple, ce Pascal.

Jo s’est toujours fait une joie d’avoir sa soeur à ses côtés. Elle lui fait à manger. Elle s’occupe des factures, et même s’il ne l’avouera jamais, elle gagne assez d’argent pour qu’ils vivent bien, tous les deux. Jo boit l’apéro tous les soirs avec ses deux amis d’enfance : le petit Henri de la ferme voisine, et le Petit Emile de la ferme voisine de celle d’Henri ; sauf qu’ils ne sont plus si petits que ça…Ils s’assoient tous les soirs, à la même heure, autour de la table, boivent la même chose tous les jours et mangent les même biscuits apéritifs depuis des années ; les biscuits que l’épicier du village continue de commander, juste pour eux. Ils racontent pleins d’anecdotes qui ont pour point commun de toutes débuter par « Vous vous souvenez du jour où… » . Ils rient beaucoup. Parfois, ils ne rient pas, et ces fois là, Irène ne leur propose pas de rester manger avec eux. Elle sait que son frère sera triste s’ils continuent à parler du passé alors elle préfère les chasser avec un « C’est prêt Jo. », une phrase quasi imparable.

Irène va devoir demander de l’aide à son frère, chose qu’elle n’ose plus trop faire depuis qu’elle s’est installée chez lui. Elle pense qu’elle lui doit trop pour lui faire cet affront. Henri et Emile s’en vont. Irène n’ose pas servir le souper. Elle n’a pas encore choisi ses mots, les bons mots qui feront que Jo ne pourra pas hésiter et qu’il acceptera de l’aider sans rechigner une seconde.

« Jo ! »
« Oui ? »
« A table ! »
« Bah, j’y suis déjà. »
« Ah oui, c’est vrai, excuse-moi. »
« Je t’excuse pour ça, mais pour mon bras, je suis pas prêt d’oublier »
« Tu dis n’importe quoi, encore une fois. »
« Passe-moi la télécommande ! »
« Non Jo, j’ai des choses à te dire, on mange sans télé pour une fois. »
« Tu vas pas me faire une leçon de vie encore une fois ? »
« Comment ça encore une fois ? »
« Bon accouche, c’est quoi ton problème ? »
Irène lui explique l’exploit qu’on attend d’elle. Elle laisse aussi sous entendre qu’elle aura besoin de l’aide de Jo.
« Oui je t’aiderai. »
Irène ne pensait pas obtenir cette faveur si facilement, elle pense à une moquerie mais comprend que son frère n’est pas un méchant.
« Jo, je te laisserai le soin de cueillir toutes les roses du jardin demain. »
« Et toi tu vas faire quoi ? »
« Je vais aller faire le tour de mes amies au village, pour leur dire que j’ai besoin de leur roses. »
« Ca la fout mal pour une fleuriste, non ? »
« Non, et puis je ne suis pas une fleuriste. »
« Arrête de jouer avec les mots le soir du jour où j’ai frôlé la mort. »
« Jo… »
« Oui très bien, on fera le compte demain soir pour voir combien il nous en manque ? »
« Oui, et ensuite j’irai m’approvisionner aux maisons de campagne de la famille, en espérant que le traitement que j’avais fait aux rosiers l’an dernier ait porté ses
fruits… »
« Ses fleurs, tu veux dire. »
« Jo, c’est pas trop le moment là »
« Oh si on peut plus rire. »

Et en effet, ce n’est pas trop un moment pour rire, mais Jo et Irène ne peuvent pas le
savoir.

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