jeudi 18 septembre 2008

Jalousie #1

Je la regardais discrètement, du coin du blanc de l’oeil. En public, je disais à qui
voulait bien l’entendre que je détestais cette fille. Elle avait soit disant des allures de
catin, elle avait les yeux trop charbonneux, la bouche trop glossée, le teint trop
défraîchi pour une jeune fille de nos âges. Nous étions jeunes, pourtant elle avait un
air de Catherine Deneuve. Elle agissait comme une adulte qu’elle était tandis que je
poussais mes jérémiades sans arrêt, comme une enfant que je souhaitais être encore.
Je savais tout ou presque d’elle, alors qu’elle ne savait que mon prénom. Elle savait
aussi quelles études je faisais, puisque nous faisions les mêmes. Je la détestais, cette
fille qui semblait si bien entourée. Elle n’avait pourtant pas l’air de quelqu’un de
particulièrement sympathique ou intelligemment drôle, cependant les gens
semblaient apprécier sa compagnie.
Je vous vois venir, vous pensez que je vous sers un scénario typique dans lequel la
jeune fille belle et populaire se retrouve délaissée par ses amis qui vont se rendre
compte que la fille un peu moins jolie est tout aussi agréable. Mais les morales
préconçues n’intéressent que les gens qui…non, elles n’intéressent plus personne.
C’est bien pour cela que je vous conte « mon » histoire. Je dis « mon » mais il s’agit
d’une fiction. Je tiens à le préciser car je déteste les autobiographies fidèles et
détaillées. Rien ne vaut une biographie post-mortem écrite par son ennemi juré, une
biographie dans laquelle on vous accusera des pires choses. On vous inventera des
enfants illégitimes et c’est avec un air condescendant que les gens vous assimileront à
Yves Montand. Votre famille se ruinera dans un procès contre votre ennemi, qui se
servira de l’impact médiatique de l’affaire pour relancer sa carrière, ou pour la lancer
tout simplement, car vous êtes une personne tout à fait banale et vos ennemis font
leurs courses en survêtement dépareillé. Qu’importe la banalité affligeante de votre
vie ou de la mienne, puisque je vous parle de quelqu’un d’hors du commun, que le
charisme étouffe presque.

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