jeudi 18 septembre 2008

Sinon ça va #2

Oui, je me suis endormie habillée pendant que Romain se changeait alors là je galère un peu pour me démaquiller tranquillement. En plus j’ai envie de chanter sous la douche, mais ils dorment encore. J’essaye déjà de pas respirer trop fort, alors chanter, ça risque de sembler un peu impertinent. Même s’il est quinze heures. J’ai soif, très soif. Je bois de l’eau directement au robinet du lavabo. J’entre dans la douche. Le rideau se referme difficilement, mais se referme quand même. Mon gel douche Cottage ™ à la fleur d’oranger, qui, d’ordinaire me plait tant me soulève un peu l’estomac. Je suis une mamie qui a renversé son flacon d’eau de Cologne, à cet instant précis, seulement. Mon pied gauche me démange un peu. Je le gratte, mais je manque basculer. Dangereux geste. J’ai la tête qui tourne. Une mini gueule de bois, à cause de mes médicaments, qu’il faut que je reprenne sur le champ par ailleurs. J’entends du bruit, quelqu’un est levé. Je me sèche un peu les cheveux et mets mon peignoir pour voir qui c’est. C’est Sandra. Elle a des cernes affreuses, presque pire que les miennes. Je lui propose un petit déjeuner. Elle n’a pas faim mais veut bien un jus d’orange. J’ouvre le frigo en espérant y trouver une bouteille qui ait échappé à ma frénésie de concoction de cocktails en tout genre. Une bouteille de jus d’orange est intacte. L’honneur est sauf. Je la secoue sinon la pulpe, elle reste en bas. Je lui tends dans un verre à moutarde Dora. Elle le prend à deux mains comme certains prendraient une tasse d’une boisson chaude qui réconforterait. Le jus d’orange peut réconforter, j’imagine. Personnellement, la seule fois où j’ai été réconfortée par un verre de jus d’orange était cette matinée de printemps où la tante d’une amie m’offrait un verre de jus de pamplemousse_que je déteste. Elle n’en avait plus, quel dommage, elle devait donc me donner du jus d’orange. Le verre du réconfort.
Sandra s’étire, me dit que c’était sympa hier, que vraiment, je suis cool de la laisser rester si longtemps chez moi. Je lui dis que oui, je suis cool, mais qu’en même temps c’est normal, sinon à quoi serviraient les amis. Je m’écœure moi-même de dire de pareilles niaiseries. Elle va passer sa main dans mes cheveux, je l’esquive en rinçant mon verre. Malgré ce que vous pouvez croire, à cause des bisous que je l’ai laissée me faire jusque là, je déteste les contacts corporels. Surtout ceux qui arrivent par surprise. Comme un câlin d’une copine un peu trop affectueuse. Ce n’est pas malintentionné mais ça me fait l’effet d’une craie qui crisserait sur un tableau vert. Je ne sais pas si vous avez remarqué comme ces moments là durent une éternité. Les moments qui nous mettent mal à l’aise. Je pense qu’on doit avoir le cerveau en ébullition. On doit voir la chose arriver, savoir que ça va être pénible, penser à une façon d’esquiver, se résigner, subir le moment, penser à quel point c’est inconfortable et à quel point on doit avoir l’air gauche, se demander si c’est bientôt fini, se défaire de l’étreinte en essayant de pas avoir l’air trop dégouté et en faire le bref bilan : oh mon dieu quelle horreur ! S’en suit une réflexion sur le ridicule de ce geste ; réflexion bien souvent avortée si le geste est effectué avec de l’alcool dans le sang. Ca ne rend pas le geste acceptable, mais de toute façon, y’a des pailles et glaçons.
Je repose mon verre, et je lui souris. Pour elle le sourire veut dire que je suis sympathique et que je n’ai aucun problème avec le fait qu’elle squatte. Pour moi, il veut simplement dire tu ne m’as pas eue, tu as vu ce que j’ai fait avec mon verre ? J’aurais pu le faire plus tard ou même pas le faire du tout car j’ai envie de me resservir de jus de fruit. D’ailleurs je le fais, maintenant, sous tes yeux. Et tu n’y vois que tu feu tellement tu es bête.
Romain entre dans la cuisine, nous dit bonjour. Il a l’air complètement à l’ouest. Il est ébouriffé, j’aime bien. Il pue un peu de la bouche, j’aime moins. Mais bon c’est normal. On est humain, il a la gueule de bois. Et je suis levée depuis plus d’une heure alors qu’il vient juste d’émerger. Comme chaque matin, il me demande s’il a ronflé. Il est persuadé d’être un gros ronfleur pourtant je ne l’ai jamais vraiment entendu faire ce genre de bruit. Etre endormie m’empêche de bien entendre, je suppose. Mais parfois je lui dis qu’il a ronflé comme un pompier cancéreux, car ça vexe. Désolée, pompier cancéreux, je t’apprécie quand même. Continue de lire. Bisous.
Mais je ne vis pas avec un pompier cancéreux. Je lui propose donc un verre de jus d’orange. Il me dit qu’il a plutôt envie d’une aspirine. Je lui prépare, lui tends le verre. Je dis que je vais me recoucher. En fait je ne me recouche pas, je vais juste allumer la télévision, m’enrouler dans une couverture, m’affaler dans la couverture et m’étirer en baillant. Je fais des micro-siestes de quelques secondes. MTV me permet à la fois de dormir et de suivre les émissions. Je n’ai pas trop envie de parler à qui que ce soit, c’est normal, j’ai un peu trop bu hier. Et les lendemains de soirées ne sont pas des vrais lendemains. Ils sont des entités vide de temporalité, vide de sens, et vide d’envie surtout. Je ne veux pas qu’on me touche, je ne veux pas qu’on me parle et je ne veux pas qu’on passe devant la télévision. Putain dégage la moche avec ton problème d’Œdipe non résolu là. Attends, prends pas la télécommande, ça veut dire que tu vas changer de chaîne. Je me redresse pour être prête à l’insulter dignement. Elle monte le son. Ouf, je me calme un peu. Elle relève mes jambes, s’assois et repose mes jambes sur ses genoux. Pourquoi pas. Enfin, pourquoi ? Y’a de la place ailleurs. Mais vu qu’elle n’a pas changé de chaîne, je ne dis rien.
Ca vibre dans ma poche. J’attrape mon téléphone. SMS d’Antoine, « On est bien rentrés, à bientôt. » Qu’ils sont bêtes ceux-là. Envoyer ça à 17 heures. Certes. Comme à chaque fois que je reçois un message, Sandra me demande de qui ça vient. Je lui dis « oh ne le dis surtout pas à Romain mais…ça vient d’Antoine ». Ses yeux brillent à cette simple évocation, je décide qu’il est donc grand temps d’aller faire la vaisselle.
Je frotte cette tasse. Je fais couler l’eau très fort, pour qu’elle soit bien chaude. Je me fous bien de ces petits sans eaux dans les pays en voie de développement. Ils se foutent bien de mes cauchemars et mes craintes. On est ex-æquo. Enfin, non. Moi, j’ai de l’eau. Nananère, comme on dit. En frottant, je pense à autre chose. Je me demande ce que le père de Sandra a bien pu faire qui la dégoute autant. Et je repense à un livre qu’une amie très cultivée m’avait prêté il y a peu. C’était un livre d’Alexandre Jardin, lu en quelques heures tellement le ton était plaisant. Elle avait pensé que livre pourrait me plaire. Ca n’avait pas manqué. Dedans un homme se vantait de se vie conjugale avec un singe. J’espère que le père de Sandra n’est pas allé jusque là. Ca expliquerait bien des choses. Salut chérie, j’ai remplacé ta maman par une guenon. D’ailleurs, c’est peut-être même ta mère. L’évier déborde presque. Je coupe l’eau. Je finirai plus tard. Ou bien je laisserai les autres finir. La sonnerie de la porte se fait entendre. J’appuie sur le bouton de l’interphone. C’est la maman de Romain. Youpi. Le temps qu’elle met pour arriver jusqu’ici me permet tout juste de ramasser les cadavres de bouteilles et de les mettre dans cette poche-poubelle. Je lui ouvre. Bisou, bisou. Elle me dit que mes cheveux sont soyeux, je lui dis qu’elle a bonne mine et que son tailleur est ravissant. Elle entre, quitte son manteau et me le tend. Elle me demande qui est cette jeune personne à mes côtés. Je lui présente Sandra, lui explique qu’elle passe souvent les week-ends en notre compagnie. Elle me demande ce que fait Romain ; je lui dis qu’il est dans la salle de bain, qu’il ne devrait pas en avoir pour très longtemps. Aussi, je vais frapper à la porte de Romain pour lui signaler l’arrivée de sa mère ; il me dit qu’il arrive. Je propose un thé ou un café à Mme Dalmas. Elle me dit de l’appeler Sylvie. Je dis que je vais essayer mais que ça me gène un peu. Romain appelle mes parents par leurs prénoms. Mais mes parents sont cools. La mère de Romain, je ne sais pas, on dirait une caricature sortie des publicités Moulinex des années soixante. Je vais donc dans la cuisine, où je devrais être collée, si je suivais la logique de Madame. Je mets de l’eau à bouillir. J’attrape trois tasses, une pour elle, une pour Sandra, une pour moi. Je monte sur une chaise pour atteindre les biscuits que l’on cache au dessus de la vaisselière, comme si le fait qu’ils soient hors de ma portée pouvait vraiment m’empêcher de grossir. Mon téléphone sonne. Marc. Mauvais timing, j’éteins mon portable. Il comprendra. Il comprend toujours.
L’eau est prête. Je fais du thé à la myrtille, je ne leur laisse pas le choix. Si elles voulaient autre chose, il fallait le dire avant. Je les entends parler de là où je suis mais je ne discerne pas vraiment le sujet de la conversation. Je me demande ce que Marc voulait me demander. C’est lui qui a mon coffret DVD de la huitième saison d’Urgences ; je crois. Ca y est, c’est assez infusé. J’amène le plateau. On se sert en biscuits. On parle de nos dernières lectures. Les miennes n’intéressent personne. Sandra relit pour la quatrième fois Ange ou Démon de Dan Brown. Voilà une chose qui plait à Mme Dalmas. Voilà bien une discussion qui me donne la nausée. Pourquoi ne pas lire Hell de Lolita Pille deux fois par semaine tant qu’on y est ? Mme Dalmas doit faire renouveler son abonnement à Marie-Claire déco. La porte de la salle de bain s’ouvre, je respire. Romain dit bonjour à sa mère. Il prend un biscuit. Ils commencent à parler de leur famille. Le petit frère de Romain vient d’apprendre à lire. Il s’appelle Jean. Il est plutôt cool comme gamin, je trouve. Il gagne un peu trop souvent à la bataille navale, mais on a tous nos forces et nos faiblesses. J’imagine.
Il est 18 heures passées, je propose à Sandra de la raccompagner chez elle. Comme ça déjà, elle ne s’éternisera pas trop et en plus j’aurais trouvé une façon polie de m’éclipser et de ne pas avoir à subir la mère de Romain. Je débarrasse les tasses pendant que Sandra finit de faire son sac. J’attrape mon Manteau bleu. Je chausse mes nouvelles ballerines, achetées hier avec Sonia. J’aime bien Sonia, quand même, quand j’y pense. Ah, mon écharpe vermillon ! On peut y aller. Oh qu’il fait froid ! Eh merde, grève des transports, j’avais oublié. Bon on en a pour une demi-heure de marche. On discute de choses et d’autres. Elle me dit qu’elle n’a pas très envie de rentrer chez elle. Je lui dis qu’il le faut. On discute du programme télé du soir. Elle me vente les performances d’acteurs de Gérard Depardieu dans ce film qu’on a tous vu quinze fois. « Eh tu vois, c’est comme ça qu’on fait un coup de boule ». Ok, mais je n’écoute qu’une phrase sur deux, en effet, j’observe les vitrines des magasins que l’on dépasse. Sympa cette robe, j’irai peut-être l’essayer demain après les cours, juste pour voir comment elle tombe. On arrive. Elle n’a pas ses clés. Elle panique. Je suggère de sonner. Son père nous ouvre. Je le connais depuis si longtemps ! Il est content de me voir. Après tout, je suis un peu l’assistante sociale de sa fille. Il me dit d’entrer, qu’il va nous servir un petit cocktail. Sans alcool bien sûr, car on est trop jeunes. Mais oui monsieur ! La télévision était allumée sur une chaine de déco du câble. Soit il a bon goût, soit il a changé de chaîne en vitesse avant d’aller ouvrir. Vu la laideur de son pull, j’opte pour la première solution. Je bois le cocktail, bien trop sucré. Je suis écœurée mais je souris. Il me parle de sa promotion, il me parle du fait qu’il va pouvoir offrir plus à Sandra. J’ai envie de lui dire de lui offrir un peu de santé malade. Mais son augmentation de salaire risque de ne pas suffir. On parle, on parle. On rit un peu ; mais Sandra ne rit pas. Elle a mis un dessin-animé étrange qu’elle est la seule de la pièce à supporter. Alors je dis qu’il est prêt de vingt heures et que je devrais y aller. Son père me ramène en voiture. Il me dit qu’il est désolé de la charge que doit représenter sa fille. Je nie tout en bloc. Oh non Sandra n’est pas une charge, c’est une personne tout à fait agréable. De plus, quel genre d’amie je serais si je la laissais tomber quand elle n’est pas tout à fait au mieux de sa forme. Je serais une amie normale je crois. Je le remercie de m’avoir ramenée et lui souhaite une bonne semaine.
Je rentre. Une note de Romain sur notre ardoise-mémo. Il est chez Antoine et Martin, ils ont un nouveau jeu à lui faire tester. Je ne dois pas l’attendre pour manger. Il me suggère d’inviter qui je veux. Je ne veux personne. Enfin si, Hugh Grant, mais je doute qu’il puisse se libérer à temps pour venir manger des restes avec moi. De toute façon je n’ai même pas faim. Je rallume mon portable. J’ai envie de parler à Marc. Je ne sais pas si on peut vraiment dire ça sans avoir l’air complètement stupide et naïf mais je crois que c’est mon meilleur ami. Il sort avec une fille très jalouse depuis plus d’un an alors je le vois un peu moins. Car bon, j’ai pas envie de le priver de ça même si cette fille ne sait pas de quoi elle se prive elle en ne profitant pas de ma compagnie. Je compose son numéro. Allez réponds du con ! Ca sonne. Ca sonne.
« Ah Marc ! C’est Manon »
« Oui j’ai vu. Alors ça va mec ? » Purée, il me réappelle mec. Je déteste ça.
« Ouais, bof, je me remets mal d’une soirée, et toi ? »
« Tranquillement, je voulais savoir si ça tenait encore pour demain à midi ? »
« Demain à midi ? Euh, oui bien sûr ! », Demain à midi ??? J’avais complètement oublié.
« Tu t’en souvenais quand même ? »
« Bah oui, tu me prends pour qui ? »
« Je ne sais pas, pour toi, par exemple. »
« Oh hé, ces allusions là… »
« Oui ? »
« Bah garde les pour demain. »
« Ok, on se retrouve à la fin de ton dernier cours de la matinée. Onze heures trente ? »
« Oui, devant l’amphi près du parking là. »
« A demain. »
« Oui. »

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