mercredi 17 septembre 2008

Sinon ça va #1

Ca fait environ deux heures que je la vois remuer ce ragout. Je n’ose pas m’avancer plus dans la cuisine. Ca ne sent pas vraiment la nourriture et pourtant la pièce n’est pas très aérée. Romain, lui, il ose aller lui parler pour moi. Je dis pour moi car il s’en fout de voir notre amie dans cet état. Il lui parle, je suis sur le pas de la porte alors j’entends tout. Mais le tout, ça se limite à ce qu’il dit, lui. Car elle, elle ne répond pas.
Romain prend une bière dans le frigo et retourne s’assoir sur le canapé. Je lui dis « Alors ? ». Il me dit :
« Elle est pas bien ta copine. »
« Sans déconner ; bon elle cuisine ou pas ? »
« Ah ça oui, elle est en train de mélanger une tranche de vide avec une portion de pas grand-chose, le feu n’est même pas allumé. »
« Elle est pas bien. »
« Sans déconner ! Tu ne veux pas remettre le cd Manon s’il te plait ? »
« Ce que t’es chiant, bouge-toi un peu »
« Allez, tu sais que j’ai encore mal à la jambe »
« Pas pour aller te chercher une bière. »
« C’était pour voir si ta copine allait bien, abuse pas. »
« C’est ça, bon je vais la voir »
Mais je n’ose pas vraiment m’approcher d’elle. La vérité c’est que Sandra n’est plus tout à fait la même depuis qu’elle a surpris son père en plein ébat sexuel. Elle n’a jamais voulu nous dire ce qu’il faisait exactement. Ni avec qui, ni avec quoi, ni comment. On sait juste qu’elle n’est pas bien depuis. Là ça va faire deux mois. Et les week-ends, elle vient chez moi ou chez des copines, car elle veut plus rester chez elle, avec son père. Mais elle nous tape des crises de folies. J’attrape une tasse pour la remplir de café ; j’en propose une à Sandra qui ne se retourne pas. Je lui propose une dose mortelle de Nurofen™, juste pour essayer de la faire réagir. Je lui dis finalement que je ne supporte plus qu’elle me mette mal à l’aise chez moi pendant mes rares moments de repos.
Alors enfin, elle me répond. Je me repose tout le temps car je suis étudiante et je ne dois pas bosser pour l’instant. Elle sait ce que c’est de souffrir et je ne suis rien. Et en plus, elle a vu son père faire des choses horribles. Je pose mon café, et j’y ajoute un peu de whisky, il me faudra bien ça, si elle doit rester jusqu’à demain soir. Je lui dis de se calmer, et de venir nous rejoindre dans le salon, qu’on va mettre un D.V.D.
Martin et Antoine sont là, ce sont les deux meilleurs amis de Romain. Ils étaient inséparables avant que Romain ne vienne s’installer chez moi. Alors, je les accepte, je ris à leurs blagues et ils boivent mon alcool. On se fait des bisous polis et on triche au dessiner c’est gagné. En somme, on s’aime bien. Ils ont un peu de mal avec Sandra, mais en ce moment qui n’en aurait pas. D’ailleurs vous tombez mal, car en temps normal elle est plutôt sympathique. J’imagine que dans le cas contraire ça ne serait pas mon amie. Enfin, tout dépend de ce que je cherche dans une amitié. Pas la peine de s’arrêter sur ces considérations, je me ressers en whisky. Coca. Glaçons, paille. Pailles, c’est plus rigolo.
Je choisis le D.V.D. ; comme d’habitude. J’en prends un que j’ai vu environ cinquante fois pour pouvoir observer les réactions des autres au lieu de suivre l’image à l’écran. J’aime savoir si les gens vont rire aux mêmes moments que moi, apprécier les mêmes répliques que moi. Et encore plus voyeur, j’aime voir leurs yeux s’humidifier. En général, Martin dit qu’il a une poussière dans l’œil, Romain qu’il pensait à autre chose, Antoine bah, lui, c’est de l’eau. Ils ne pleurent pas, c’est pour de faux. Sandra, elle pleure tout le temps mais jamais devant un film. On ne cherche pas vraiment à comprendre. Car on n’est pas vraiment intéressé, c’est bien la, l’honteuse vérité.
Le film commence, continue, se termine. Mais il ne se termine jamais avant que Romain m’ait demandé d’arrêter de le regarder ; que si le film ne me plait plus, je n’ai qu’à aller finir la vaisselle. Trop aimable.
Le film fini, je lance quelques répliques en espérant qu’on finisse mes phrases. Pour voir qui a aimé en quelque sorte. C’est toujours comme ça ; et parfois ils jouent le jeu. Parfois non. Cette fois ci, c’est plutôt non. Ils veulent boire des daïquiris ; je leur en fais sur le champ, car j’ai envie de rhum moi aussi. Et de glaçons, et de pailles, et de remue-cocktail. Et de citron.
Sandra me suit dans la cuisine. Elle ne m’aide pas à préparer. Elle touche un peu mes cheveux et me dit qu’ils sont soyeux. Qu’elle veut connaître mon shampooing. Je lui donne la marque tout en sachant qu’elle ne peut pas se permettre autre chose que les marques repères, mais on s’en fout, ça fait cool quand même d’échanger des marques de cosmétiques entre copines. Je lui demande si entre Martin et Antoine elle n’en trouve aucun à son goût. Elle me répond par une question, comme elle aime tant le faire :
« Mais pourquoi tu me demandes ça ? »
J’essaye de me mettre à sa place, pourquoi elle me demande pourquoi je lui demande ça ; alors qu’il n’y a aucun sens caché derrière ma question. Elle doit soit penser que je la trouve pathétique, soit penser qu’un des deux est intéressé. Laissons-la dans le doute, elle est tellement pénible en ce moment et rattrape .
« Oh comme ça, ils sont « intéressants » tu trouves pas ? »
« Je suppose ».
Elle n’en a rien à faire. Ce sont des garçons, comme son papa, du coup elle ne les aime pas. Je lui tends deux verres, et prends les trois autres et nous retournons dans le salon où les garçons ont mis une rediffusion d’un match de foot. Sandra et moi râlons, juste pour le principe, car au fond on aime bien le foot. Mais on veut être le centre de l’attention, enfin je veux être le centre de l’attention. Je propose de faire un jeu de société. Je me fais crier dessus qu’on en a marre des enfants sages. Pourtant, parfois, le Triomino™ ça peut tourner ghetto, non ?
Ils m’ennuient un peu quand ils ne veulent pas faire exactement ce que j’avais prévu. Bien sûr, je ne leur dis pas ce que j’avais prévu, si je le faisais, ça serait trop simple. S’ils sont pas fichus de deviner, c’est qu’ils ne me connaissent pas si bien. Alors je prends mon verre et je vais bouder dans la salle de bain. Je reprends mes médicaments quand je sais qu’ils ne se mélangent pas avec l’alcool. Mais fallait pas me chercher. Puis je passe à la cuisine me faire quelques petits shots discrètement. Histoire de supporter le fait de ne pas être monarque absolue. Je leur demande à distance s’ils veulent jouer à Singstar ? Ils ne répondent pas. Alors je crie un peu plus fort. Je veux qu’un d’eux se déplace. Il le faut pour regagner des points de pouvoir. Antoine arrive et me demande si j’ai besoin d’aide pour quelque chose. Je lui dis que je prépare des pina colada s’ils acceptent de jouer à singstar. Il me dit qu’il a très envie de chanter crazy in love ; la dernière fois, il avait presque battu mon score. Il veut réessayer. Je dis ok, passe moi les glaçons. Et les pailles, car c’est plus rigolo. Ils installent les micros. Je sais que Romain n’aime pas trop ce jeu. Il trouve que c’est un peu pour les midinettes. Parfois Romain est bête, mais je l’aime bien comme ça quand même. J’ai une de ces envies de BN ; je n’en ai pas mangé depuis plus d’un an. J’en tremperais bien un dans un grand verre d’eau, et il se casserait net en deux. Une moitié dans le verre. Le reste dans ma main. Une cuillère rattraperait le BN noyé et le sauverait des eaux pour lui offrir mon palais en échange. Mais on n’a pas de BN ; alors j’explique que je veux chanter Running up that hill de Kate Bush. On me laisse chanter en solo car personne n’a envie de la chanter. Sandra veut bien faire la chanson que personne ne connait, une fois tous les jokers épuisés. Je suis contente qu’elle le fasse, elle va perdre. Ah, en fait elle ne s’en sort pas si mal. Elle m’énerve. Martin a un accent incroyable quand il chante en Anglais. Sur Keane, il me fait presque pleurer de rire. On dirait une parodie d’un gars qui aurait un sal accent bien franchouillard et une déficience mentale légère. L’un n’entrainant pas forcément l’autre. Au bout d’une heure de jeu, Romain me dit qu’il en a marre.
Alors Martin et Antoine disent qu’ils vont rentrer chez eux. Ils sont colocataires et vivent à moins de dix minutes à pieds. Alors le fait qu’il soit quatre heures du matin ne les embête pas. Je leur dis de nous envoyer un message une fois qu’ils seront arrivés. Juste par politesse. Car on a tous envie d’être rassuré et de rassurer.
Sandra elle, reste dormir chez nous, la deuxième chambre de l’appartement ne sert pratiquement qu’à elle. Je me demande si elle ne devrait pas inscrire son nom sur la sonnette, à côté des nôtres. Elle me dit qu’elle prend la salle de bain quelques minutes pour se mettre en pyjama.
Romain me tape les épaules avec la tranche de la main comme on voit faire les masseurs asiatiques dans les films. Ca me fait toujours rire. Il chantonne un peu « crazy in love ». Je sais qu’au fond il ne déteste pas Singstar. Je le chambre un peu à ce sujet. Il me dit de faire attention, qu’il peut me faire le coup du lapin, comme de rien. Wow j’ai trop peur. Je lui demande si sa maman doit passer demain. Il me dit qu’elle n’a rien dit. Mais elle n’a pas dit le contraire non plus. La maman de Romain est très gentille avec lui, très gentille avec moi quand il est là. Mais lorsqu’elle est seule avec moi, elle doit se sentir libre de cracher tout son venin. Elle me reproche peut-être de lui avoir piqué son fils. Enfin, moi je ne l’ai pas forcé à venir vivre avec moi. C’était plus pratique pour aller à la fac, de toute manière. Je demande à Romain de ne pas sortir demain si jamais sa mère risque de venir. Je n’ai pas envie de mourir si jeune.
Sandra sort de la salle de bains, vient me faire un bisou et nous souhaite une bonne nuit. Romain va se changer à son tour. Je m’assois sur notre lit en l’attendant, j’ouvre le livre que j’essaye de lire pour la fac. Mais il est très très nul. Très très très nul…

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