jeudi 18 septembre 2008

Sinon ça va #3

Le réveil sonne. Je n’ai pas dormi plus de trois heures cinquante. Je ne peux pas me lever tout de suite. Je referme les yeux, juste pour quelques minutes. Je rouvre les yeux. J’ai encore un peu le temps, je ne me lisserai pas les cheveux, c’est tout. De toute façon, ils sont déjà lisses. Eh pourquoi Romain n’est pas rentré ? Je me rendors. Et cette fois ci, les chiffres sur mon réveil m’indiquent qu’il est bien trop tard pour assister au premier cours. Enfin je peux y être, si j’y vais le ventre vide, en pyjama. Chose impensable. Je me lève, allume la télévision. La matinale de canal plus me donne le rythme. Je prépare le café. Pendant qu’il passe, je me douche, je m’habille. Je me maquille dans le salon pour entendre la rubrique « tendances » à défaut de pouvoir la regarder. Jus d’orange, café, compote, je suis armée pour la matinée. Echarpe, gants, manteau, me voilà prête à affronter le froid. Ah non, mes bottes. J’allais partir en chaussettes. C’est mal. Voire débile.
Où sont mes clés ? Putain, je suis déjà assez à la bourre comme ça ; faut que j’en rajoute avec mon côté bordélique de première, là. En plus, je ne peux même pas les faire sonner pour les retrouver. Elles ne sont derrière aucun coussin. Elles ne sont pas sur mon bureau. Elles ne sont pas dans le frigo. Elles ne sont pas sur la porte. Elles ne sont pas à la poubelle. Ah , elles sont dans ma poche. Pff, dix minutes de perdues en plus. Et mon sang-froid. J’y vais. Je ne dois pas rater mon second cours. Je fais des études de lettres modernes. Je ne sais pas trop pourquoi, toujours est-il que ça m’occupe, un peu. Et à ce cours, il y a Marion qui doit me rendre mon Dvd de « Me and you and everyone we know » ; que je n’ai de cesse de recommander mais que personne n’a jamais vu ou que personne n’a envie de voir. Alors si Marion l’a vu, je veux connaître son avis. Je veux savoir si je suis normale d’aimer à ce point là, les répliques de Miranda July. Je veux savoir si c’est normal, aussi, de vouloir faire de chaque image du film le papier peint de mon bureau d’ordinateur. Je ne veux donc pas rater ce cours. Même si je n’ai pas réfléchi au plan de la dissertation qu’on avait à faire. Le professeur est très intéressant. Il se perd en anecdotes et n’a de cesse de faire rire son assemblée. Certains le trouvent déroutant mais moi j’aimerais croiser sa route plus souvent…[…]…Je suis à l’heure. Marion est à côté d’un garçon qu’elle aime bien mais que je n’aime pas trop. Je me mets au fond, fais mine de ne pas les avoir vus. Tant pis, elle me rendra mon DVD à la fin du cours. Le prof a du retard. Si j’avais su, j’aurais pris le temps de mettre ma crème hydratante. C’est bête. Puis, il parle, il parle, il parle, et moi j’ai encore sommeil et j’ai envie de voir Marc. Je me demande comment il sera habillé. Mes yeux se ferment de plus en plus fréquemment. Je ne veux pas sembler malpolie. Je me redresse un peu. L’heure avance, lentement, mais avance quand même. Je regarde par la fenêtre. Je vois des écureuils, je vois des gens allongés dans l’herbe. Je vois des gens manger. Je vois des gens heureux. Je vois des gens malheureux. Je vois des gens qui font semblant d’être heureux. Je vois des gens qui se forcent à être malheureux pour ne pas rendre les gens malheureux jaloux de leur bonheur. De la fausse abnégation, un peu partout. Mais ce professeur. Il ne s’arrête jamais de parler. Il a l’air si intelligent. Je ne serai jamais comme lui. Je ne sais pas trop ce que je veux faire de ma vie de toute façon. Les gens autour de moi commencent à ranger leurs affaires comme pour indiquer au professeur qu’il a perdu la notion du temps. Mais celui-ci continue son discours bien que l’assemblée se soit réduite de moitié. Il n’y a pratiquement plus personne. Je suis pressée de retrouver Marc mais je veux quand même que le professeur se souvienne que, moi, Manon, je suis restée boire ses mots jusqu’à la dernière voyelle. Je suis comme ça, j’aime les voyelles.
Marc m’attend. Je sais qu’il m’a vue ouvrir la porte de l’amphithéâtre pourtant il fait semblant d’envoyer un texto jusqu’à ce que je lui tapote délicatement l’épaule. Il me dit qu’il n’est pas intéressé, qu’il n’a pas de monnaie sur lui. Je lui dis qu’il est con et que j’ai faim. Je n’ai pas vraiment faim mais j’ai quand même très envie qu’on me nourrisse. L’immense file d’attente qui se dessine à des mètres et des mètres de la cafétéria universitaire nous incite vraiment à aller ailleurs.
« Chinois, Japonais, Italien ? »
« Whatever. »
« Connais pô »
« Pauvre con. Allez on va manger des Sushis. »
« Ok, mec »
« S’il te plait, regarde j’ai mis du blush tout ça, je suis une fille, ne l’oublie pas. »
« Whatever. »
« Tss. »
Et on est content, et on se bouscule et il conduit et je fouille dans la boîte à gants. Et je ris. Des gants MAPA pour seul contenu. Vraiment, c’est du Marc. Je lui demande sur un ton péremptoire comment va Paméla. Il me répond de ne pas commencer avec ça. Je lui dis qu’il s’énerve pour rien et il m’explique que si je voulais des nouvelles de sa copine, il fallait que je demande comment Angela allait et non pas Paméla. Je sais qu’il sait que j’ai délibérément écorché son prénom mais pourquoi se priver d’une petite marque de désinvolture ?
« Fais gaffe au feu, orange. »
« Ouais mais non »
« Pff, tu conduis encore plus mal que ma grand-mère. »
« Laquelle ? »
« Celle qui est morte. »
« Mort de lol »
« Oh je t’en prie, si tu dois dire lol comme ça une fois de plus, je vais descendre du véhicule pour te « carjacker » en moins de dix secondes, tu vas rien comprendre. »
« Désolé, mais moi je dis ça pour me moquer de ceux qui le disent en vrai, tu sais ? »
« Mouais, c’est ce que tout le monde dit. C’est comme les blagues racistes, c’est fun mais ça l’est moins quand y’a un vrai raciste dans le lot. »
« T’extrapoles Manon. »
Et j’extrapole encore quelques instants, le temps qu’on trouve une place de parking, à deux pas de chez moi et donc à trois pas du restaurant Japonais. J’essaye d’ouvrir la porte et je n’y arrive pas.
« Putain, je ne comprends pas, c’est sensé être ouvert depuis 11h30. »
« T’es sure que c’est fermé ? »
« Bah j’arrive pas à ouvrir, je te dis que c’est fermé. »
« Mais, alors, pourquoi y’a de la lumière à l’intérieur ? »
« Bah si t’es si malin, vas-y ouvre, toi. »
Et Marc ouvre la porte. Et je baisse la tête. Il veut faire son galant et me laisser passer mais tant qu’il m’appellera mec, je refuserai son hypocrisie. Et puis j’ai le droit de vote moi aussi. J’aime bien dire ça, des fois. « J’ai pas eu le droit de vote pour me faire traiter de la sorte. » Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’aime bien. Donc, bon ok j’ai tiré au lieu de pousser mais ce n’était pas évident aussi. D’habitude ce genre de porte, quand il n’y a rien d’écrit dessus, c’est qu’on peut ouvrir dans les deux sens. Marc se moque de moi. Et mon regard sonde la clientèle et les employés présents. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est ridicule d’employer des jeunes asiatiques pour faire genre « nous on sait faire les sushis ». En plus, le mec qui les prépare, c’est le seul blanc du staff. Tout à fait crédible pour faire « authentique et honorable firme nippone ». Si les gens ont vraiment besoin de clichés de ce genre pour se sentir à l’aise, ça n’augure rien de bon pour l’inconscient collectif. Alors un employé nous demande si l’on va manger sur place. Je réponds non, Marc répond oui. Je réponds oui, Marc répond non. On se concerte. J’ai du jus d’ananas chez moi. Alors on va chez moi, parce qu’on l’a appris avec la pratique du sushi à emporter : le jus d’ananas ça va bien avec les sushi. J’ouvre la porte en espérant trouver Romain mais il n’y a rien d’autre que le bazar que j’ai laissé avant de partir. Je débarrasse en vitesse. J’attrape le jus d’ananas. Je pose tout dans le salon. La présence de la soupe Miso sur la table basse est aussi éphémère qu’un succès de Lorie. On zappe la salade de choux pour passer à l’élément central…Mais putain, pourquoi Marc a deux california-roll de plus que moi ? C’est dégueulasse, c’est ce que je préfère. Ca m’énerve. Putain. Je lui dis ? Je ne lui dis pas ? Allez, j’ai le droit de vote, je lui dis. Il rit. Il m’en donne un. Il est sympa Marc. Je suis soulagée. Vraiment. Mais pourquoi ça me soulage alors que c’est qu’une connerie ? Mais pourquoi j’ai envie de pleurer et pourquoi je sens mes jambes s’agiter toutes seules sans rien que je leur demande. Elles tremblent. Je tremble. Je parle. Je lui parle. Il me dit qu’il ne sait pas quoi faire pour que j’arrête. Je l’insulte. Il attend. Je l’insulte. Il se ressert à boire. Je balance mon verre en plastique très très très loin dans le salon. Ca ne me détend pas. Je vais dans la salle de bain. Double dose. Puis, je fais du café. Je lui dis, viens on sort, on le boira en rentrant. Il me demande où je veux aller. Je lui dis que je veux aller à la papèterie, que j’ai très envie de fournitures de bureau. Il me dit que c’est lui qui régale. Il me régale plus trop souvent ces derniers temps à cause de cette pute de Linda, Paméla, Corinna, Andréa de salope de pute oui. Alors je lui dis que oui, c’est lui qui régale. La papèterie est à moins de cinq-cents mètres. Les gérants me connaissent car Romain et moi on passe beaucoup de temps dans leur boutique. Romain, vous voyez, c’est un artiste. Enfin, il le croit. Il croque, il croque, il croque. Il n’a pas trop d’imagination, alors il croque ce qu’il voit. Alors le plus souvent c’est moi qu’il croque et pour me convaincre de ne pas trop bouger, il me dit que je suis belle à croquer. Je fais semblant de trouver ça flatteur et je lui dis que ça m’ennuie. Alors il me dit qu’il sait que j’écris sur lui et que ce n’est que le juste retour des choses. Je sais qu’il a raison mais ça ne m’empêche pas d’avoir un peu envie de vomir quand je vois des croquis de moi en train de dormir, à mon réveil. Des fois, il en accroche au frigo, à l’aide d’un magnet en forme de personnage des Simpsons. Je les arrache d’un geste de colère puis comme il entre dans la pièce, je le félicite de la vraisemblance de son dernier « essai ». Mais putain, j’aimerais limite qu’il se mette à l’harmonica ou au pastis.
Donc, j’erre dans les rayons de cette boutique que je connais comme ma poche. J’hésite à reprendre deux trois fusains pour Romain mais il se débrouillera. J’observe les bacs à stylos, les bacs à tampons encreurs, les autocollants et autres étiquettes ; je veux tout, je ne veux rien. Alors je vais devant le petit tourniquet à carnets dorés. Ils ont l’air de ne servir à rien du tout. Mais ils sont beaux. Certains ont des fleurs, certains n’en ont pas. Certains ont un élastique noir pour les tenir fermés, certains n’en ont pas. Certains sont format de poche, certains ne le sont pas. Je les touche. Je les respire. J’en veux un ? Oh oui j’en veux un.
« J’en veux un. »
« Oui ? Lequel ? »
« Je ne sais pas, si t’étais une fille un peu comme moi tu prendrais lequel ? »
« Attends, ça demande un certain travail d’acteur, tu vois. »
« J’imagine. Alors le grand tout simple, non ? »
« Trop évident. »
« Oui. »
« Le petit fleuri ? »
« Non. »
« Le moyen à étoiles ? »
« Non. »
Et on les passe tous en revue puis ma main s’arrête un peu plus longtemps sur la couverture toute lisse du grand tout simple. Un beau doré, un bel élastique noir. Ce carnet m’appelle. Je lui réponds :
« Oui, je le veux. »
Marc me le paye. Je lui dis merci, comme si c’était ma maman qui venait de m’offrir La dernière Barbie. Mais ce carnet de luxe doit coûter bien deux Barbies. Et les Barbies ça coute déjà un peu cher, en fait. Il est chic ce Marc. Je crois que je peux le dire sans être trop cucul mais Marc, c’est mon meilleur ami.
Alors, on rentre à mon appart’ et là, toujours pas de Romain. Je ne vais pas m’énerver. Je ne vais pas m’énerver. Allez, je nous sers le café. Et on fait une mini séance de brain-storming pour décider de l’utilité de mon nouveau carnet doré. Bon, bah je lui déclare solennellement que ça me servira pour faire mes « devoirs » de l’atelier d’écriture. Il me regarde bizarrement. Ah oui, bah ça fait longtemps qu’on ne s’était parlé longuement. Il ne sait pas que je me suis mise à l’écriture. Il ne sait pas qu’avec Sonia, on est un peu en concurrence pour savoir qui aura les meilleures appréciations de Mr Lemoix, le responsable de l’atelier. Il ne sait pas que Mr Lemoix n’a que quelques années de plus que nous. Il ne sait pas que Mr Lemoix m’inspire parfois, et que son postérieur est intéressant. Marc ne sait plus grand-chose de moi mais je le laisse me parler de lui et m’acheter des choses. Marc me parle de sa copine, de sa vie de couple, de sa vie au boulot, de sa vie en général, de ses tongs, tout ça. Alors, il voit que je m’ennuie. Alors il me laisse poliment. Bisou sur le front et à bientôt. Mais, putain qu’est-ce qu’il fout Romain ?

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